À 24 heures d’intervalle, je vais, à l’Amphi de l’Opéra de Lyon et dans le cadre de la saison de l’Opéra Underground, pouvoir adresser une révérence et honorer ma dette à l’égard de deux figures qui, dans la construction de mon crible sensible, ont joué un rôle majeur :
> la musicienne et chanteuse Vashti Bunyan, à travers une conférence-récit que je présenterai ce mercredi 16 avril à 18h30 ;
> et le compositeur de musiques de film 𝐇𝐞𝐧𝐫𝐲 Mancini, à travers une soirée, jeudi 17 avril à 20h, où je mêlerai récit et musique live en très bonne compagnie de Raphaël Imbert, de François Mardirossian et du Quatuor Adeona – et avec les renforts solaires, quoique dans l’ombre, de Romain Dugelay et de Denis Fargeat.

Bunyan et Mancini : deux figures qui, au fil du temps et à des âges différents, ont contribué à m’immuniser, à me vacciner définitivement contre un certain nombre d’affections et de troubles dont la comédie sociale est sans doute le premier vecteur pathogène.
Deux figures solitaires dans leur non-genre, irréductibles à toute catégorisation, à tout classement, indifférentes à tout désir/délire de représentation, qui m’ont conforté dans cette répulsion que j’ai toujours ressentie devant les systèmes claniques quels qui soient, les lois de tous les milieux (familiaux, amicaux, professionnels, musicaux…), les mécaniques de groupes qui, dans les très hautes sphères comme dans les plus infimes marges, dans le mainstream comme dans l’underground, activent les mêmes rouages de cooptations mutuelles, les mêmes appels à n’assembler que ce qui se ressemble, la même attirance pour tout ce qui procède du seul effet-miroir.
Répulsion instinctive, qui de l’enfance jusqu’au premier âge adulte est longtemps restée informulée et confuse en moi, mais qu’au fil du temps j’ai pu éclairer, identifier et assumer pleinement grâce à des exemples comme les leurs.
Avec Vashti et 𝐇𝐞𝐧𝐫𝐲, j’ai appris la joie profonde, quoiqu’ingrate parfois, qu’on peut éprouver à se savoir sans besoin d’appartenance à une coterie, sans aucune passion pour cet érotisme machinal qui semble relier les membres d’une même corporation (officielle ou pas), sans désir d’adhérer (« cet idéal de mollusque », dixit Georges Hyvernaud) à un quelconque parti.

Vashti et 𝐇𝐞𝐧𝐫𝐲, 𝐇𝐞𝐧𝐫𝐲 et Vashti. Ces deux-là n’ont jamais été des purs et durs. Ces deux-là n’ont pas été – et ne seront jamais – des icônes ni des drapeaux. Ils ne représentent aucun camp, mais ils ont ouvert – et ne cesseront jamais d’ouvrir – des champs de pensées et de sensations dont je ne pense pas connaître un jour la limite.
J’ai écrit en préambule que, demain et après-demain, j’allais pouvoir honorer ma dette à leur égard. J’aurais plutôt dû écrire que je vais enfin pouvoir “célébrer ma dette“. Car, conformément à une pensée de Nicolas Bouvier que j’ai déjà maintes fois répercutée ici et ailleurs, il ne s’agit pas – surtout pas ! – de régler auprès d’eux deux une quelconque ardoise. Jusqu’à mon trépas, je veux au contraire continuer à jouir de tant leur devoir.
Disons qu’il était simplement temps que je leur exprime plus fortement que jamais ma gratitude – un sentiment qui, à ma connaissance, est précisément l’un des les plus gratifiants qu’on puisse éprouver.
“Ma condition parfaite est étrangère
à tout cérémonial d’une tribu.
Pour être enfin le frère de mes frères
il faut que je demeure un inconnu
cloué dans ma fenêtre sur la mer.”
— Péricle Patocchi, “Hôtel du Grand Large” in L’Ennui du bonheur et autres poèmes, choix et présentation par Vahé Godel, Orphée/La Différence, 1993.


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