Choses, formes, figures, silhouettes, ombres et lumières entrevues ; paroles sirotées ou bues d’un trait ; sons écoutés à la sauvette ; et diverses autres captures sensibles, effectuées par l’entrebâillement de portes qu’il nous prend de dérober, furtivement, dans les décors quelque peu broussailleux du réel.
~ ~ ~ Lundi 9 septembre 2024 ~ ~ ~


~ ~ ~ Mardi 10 septembre 2024 ~ ~ ~

{Wallace STEGNER, Lettres pour le monde sauvage, Gallmeister, 2021, trad. Anatole Pons-Reumaux.}
“D’évidence, je suis du côté du jardin. Tout aussi évidemment, je pense que la lutte entre jardin et machine continuera jusqu’à ce que l’espèce développe soit des ailes soit des cornes. Mais je suis convaincu que les habitants du jardin tiendront bon s’ils parviennent à préserver les éléments du monde naturel par lesquels nous pouvons sauver une part de nous-mêmes. Nous sentons déjà les conséquences de la voie inverse dans les problèmes de santé, l’enlaidissement progressif et le déclin de notre santé mentale et de notre joie de vivre. Nous commençons à éprouver des pénuries et à comprendre la sagesse de la conservation et la folie des assauts irréfléchis sur notre terre.”
~ ~ ~ Mercredi 11 septembre 2024 ~ ~ ~
{Jacques ROZIER à propos de son film Maine Océan (1986) et de la scène dite du “roi de la samba” avec Bernard Menez, Luis Rego, Yves Afonso, Lydia Feld, Rosa-Maria Gomes, Pedro Armendáriz Jr, Anne Frederick et Hubert Degex. Extrait de l’émission “La musique dans les films de Jacques Rozier” du 5 septembre 1996 sur France-Culture.}
“[Voix du présentateur] – Longtemps après Adieu Philippine, Jacques Rozier tourne Maine Océan, en 1986. Je renonce à vous raconter cette histoire assez rocambolesque, mais il suffit d’imaginer les ingrédients : Luis Rego et Bernard Menez sont deux contrôleurs de la Sncf, et ce sont leurs démêlés avec une danseuse brésilienne, un marin-pêcheur vendéen au sang chaud, Marcel Petitgars, une avocate farfelue, etc. Et tout ce monde est entraîné dans un périple qui aboutit à l’île d’Yeu, où va avoir lieu une assez extraordinaire séquence musicale. Jacques Rozier a décidé de montrer une vraie répétition de musique, avec tout le temps que cela suppose. Habituellement, au cinéma, lorsque des personnes jouent de la musique, c’est assez au point, et on n’assiste pas à toutes les prémisses, à toutes les péripéties d’une répétition. Là, c’est exactement ce qui se passe : on prend tout son temps, et on monte un morceau progressivement. C’est d’ailleurs très difficile, parce que monter un morceau dans une salle des fêtes de l’île d’Yeu – un morceau de bossa nova, imaginez-le – ce n’est pas simple. Alors, comment résumer la situation, Jacques Rozier ?
Jacques Rozier – Pour assurer la prestation de la Brésilienne, son impresario veut absolument la faire chanter, alors que c’est une danseuse – mais enfin, il dit qu’il a un engagement pour elle, qu’elle doit répéter toute de suite, toute affaire cessante. Il lui a amené le texte d’une chanson brésilienne de Chico Buarque et Francis Hime, et il veut qu’elle répète ça. Il n’y a pas de piano, il a à peine la partition… Alors ils essaient de se débrouiller : ils trouvent une guitare dans un bric-à-brac, et finalement il y en a un [le personnage joué par Luis Rego] qui se propose, qui joue quelques accords mais est incapable de déchiffrer la partition… Une pianiste est là, qui peut lui donner la liste des accords, et lui les exécute à la guitare : voilà la séquence. Et cette séquence se termine par l’arrivée heureuse d’un pianiste qu’on dégotte, quand même, à l’île d’Yeu, qui reprend la partition et la déchiffre.
On devait glisser de cette musique brésilienne à une improvisation, et c’est le contrôleur [joué par Bernard Menez] qui, sur un thème de samba vaguement brésilien, devait improviser une chanson, “Je suis, je suis le roi / Le roi de la samba”, etc. Or, je n’ai pas été fichu d’écrire les paroles de la chanson complète… et il n’y avait pas de musique non plus ! On a donc fait une sorte d’improvisation : Hubert Degex était au piano et Luis Rego à la guitare, tous les deux ont travaillé sur un vague thème à mi-chemin entre le jazz et la samba. J’ai fait danser mes interprètes là-dessus, et Menez s’est baladé en tapant sur une bouteille de Coca-Cola, pour faire une rythmique d’occasion, et en chantonnant “Je suis le roi, le roi de la samba”…
Je l’aime beaucoup, cette séquence, parce qu’on voit la musique en train de se faire. C’est une sorte de parenthèse, comme ça, de moment de bonheur, parce qu’on comprend aussi que les gens, finalement, peuvent communiquer autrement que par les paroles. Je crois que c’est ça que ça signifie – après coup, hein, parce que, sur le moment, je ne suis pas parti d’une idée aussi théorique. J’ai tourné comme ça, et c’est plus tard que je me suis dit que ça signifiait que, d’un seul coup, il y avait une communion par la musique… à partir du moment où ils se mettent tous à danser comme ils peuvent…”
{“La musique dans les films de Jacques Rozier” (1996) est une série radiophonique en 9 épisodes de France-Culture, qui peut être écoutée intégralement ici}
NB – La vidéo ci-dessous ne montre hélas que la toute fin de la séquence de la répétition, sans montrer les multiples tâtonnements et fausses pistes qui aboutissent à ce grand moment de musique de carnaval de quat’ sous.
~ ~ ~ Jeudi 12 septembre 2024 ~ ~ ~



~ ~ ~ Vendredi 13 septembre 2024 ~ ~ ~




{Showcase de fin de résidence de Rebecca Roger Cruz à l’Amphi de l’Opéra de Lyon, avec Rebecca Roger Cruz – chant, percussions, Juri Cainero – percussions, chœurs, Sylvain Rabourdin – violon, chœurs, Léna Aubert – contrebasse, chœurs, Léonore Grollemund – violoncelle, chœurs.}
~ ~ ~ Samedi 14 septembre ~ ~ ~

~ ~ ~ Dimanche 15 septembre 2024 ~ ~ ~




{Vladimir JANKÉLÉVITCH, Penser la mort ?, Éditions Liana Levi, 2021, trad. Anatole Pons-Reumaux.}
“Bergson dit curieusement, mais très profondément d’ailleurs, que l’œil est bien entendu l’organe de la vision, puisque sans les yeux on ne verrait pas, mais en un autre sens, il est l’obstacle à la vision. Il ne dit pas que si nous n’avions pas d’yeux, nous verrions encore bien mieux, mais que l’œil est une limitation de la vision. Avoir des yeux, c’est voir mais c’est en même temps ne voir que. La vision a une portée, un champ limité. Il y a des choses qui sont invisibles au-delà de l’horizon. Par conséquent, l’œil n’est pas seulement un moyen de voir, il est aussi un empêchement de voir. Mais cela est vrai de tout. Du corps par lequel je suis présent ici, par lequel je m’exprime, j’existe, je vis, mais qui en même temps m’empêche d’être ailleurs, me met à la merci des maladies, de toutes les misères dont le corps est la source. Du langage par lequel je m’exprime et en même temps par lequel je me démens, ma pensée étant toujours en-deçà ou au-delà, en retrait, autre que les mots dont je me sers. En un sens, le langage est un empêchement de s’exprimer, mais l’homme ne peut s’exprimer que parce qu’il est empêché de s’exprimer. C’est l’empêchement de s’exprimer qui est le moyen de s’exprimer, parce que nous sommes des hommes.
Eh bien, il en est de même pour la mort. La mort, non seulement, nous empêche de vivre, limite la vie, et puis un beau jour l’écourte, mais en même temps nous comprenons bien que sans la mort l’homme ne serait même pas un homme, que c’est la présence latente de cette mort qui fait les grandes existences, qui leur donne leur ferveur, leur ardeur, leur tonus. On peut donc dire que ce qui ne meurt pas ne vit pas. Alors je préfère encore être ce que je suis, condamné à quelques décennies, mais enfin avoir vécu…”





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